Dans un contexte économique en crise, les industries culturelles se restructurent. En quelques années, l’industrie phonographique s’est complètement métamorphosée. Au revoir les maisons de disque, bonjour aux « maisons de musique ». La téléphonie mobile, le cinéma, les jeux vidéo, la musique, plus rien ne permet aujourd’hui de distinguer ces domaines auparavant clairement distincts.
namoro dos somhos L’émergence d’un nouveau paradigme
Dans un contexte de crise du disque, un changement de mentalité dans la manière d’appréhender le produit musical s’est opéré. L’évocation d’un nouveau paradigme se fait de plus en plus courante. Si un CD peut être piraté, une expérience sensorielle ne peut pas l’être[1]. Le CD devient un produit d’appel pour le concert ; certains événements récents sont révélateurs. En plus de la baisse du chiffre d’affaire lié à la vente de CD depuis plusieurs années, ces transformations se font ressentir plus profondément encore lorsque, en octobre 2007, Radiohead décide de s’autoproduire et de distribuer numériquement son album In Rainbows suite à son départ de la major EMI. Radiohead bouscule l’industrie du disque en offrant la possibilité aux internautes de fixer le prix d’achat de sa musique. L’opération est un succès commercial avec plus d’un million d’exemplaires vendus en quelques jours et une omniprésence dans les médias. Une semaine plus tard, Madonna quittera Warner pour Live Nation, un promoteur de concerts, et lui offre les droits sur ses trois prochains albums, le statut d’organisateur officiel de ses concerts, ainsi que la licence pour exploiter le nom « Madonna » et le merchandising. D’autres artistes suivront la marche (U2, Jamiroquai, Oasis) dans une moindre envergure mais les majors voient leur position hégémonique remise en cause.
La crise du disque se concrétise en janvier 2008 avec la suppression d’un tiers des effectifs mondiaux chez EMI (suite au rachat de la firme par le fond d’investissement Terra Firma) ce qui entraîne le départ d’artistes d’envergure tels The Rolling Stones. La major réagira en libérant son catalogue de protections DRM et en engageant quelques mois plus tard, Douglas Merill, un haut cadre dirigeant de Google pour propulser ses ventes numériques[2]. Dès le lendemain, Reuters annonce la signature imminente d’un accord entre les trois principales majors (Sony BMG, Warner Music, Universal Music) et MySpace. Cette alliance avec la plateforme communautaire de News Corp permettrait aux majors de mettre à mal la position monopolistique de Macintosh dans le domaine de la vente de musique en ligne (i-Tunes) en offrant « un service gratuit financé par la publicité, des téléchargements payants au format MP3, des sonneries pour téléphone portable, des places de concert et des produits dérivés » [3].
Narra Des maisons de disque aux « maisons de musique »
Nous assistons à la convergence de l’ensemble des industries culturelles (musique, cinéma, jeu vidéo, livre, télévision, radio …). Les maisons de disque se transforment en « maisons de musique » au travers de stratégies à « 360° »[4] qui cherchent à multiplier les sources de revenus (vente de musique enregistrée, billetterie, gestion du merchandising, sponsoring, …). Il s’agit désormais de vendre une émotion ou une expérience plutôt qu’un bien culturel. Les éditeurs phonographiques s’écartent peu à peu du simple disque : sonneries, design sonore de publicité, bandes sons de jeux vidéo, etc.
Cette diversification de l’offre incite les majors à engloutir de nombreux producteurs indépendants. Warner Music France a récemment racheté Jean-Claude Camus Productions, l’une des plus importantes sociétés de production de spectacles en France. L’objectif pour Warner était « d’élargir et de diversifier les opportunités de création pour ses artistes » selon un communiqué de presse. Ce type d’intégration verticale est notamment une réponse à l’émergence de nouveau contrats « à 360 degrés » qui englobent toutes les activités de l’artiste en supervisant la concession de licences, le merchandising, la synchronisation, les contenus vidéo, les supports numériques et interactifs, les directs, le sponsoring ou encore les partenariats de marques.
La convergence des industries culturelles n’est pas un phénomène récent, particulièrement en ce qui concerne le pont Cinéma / Musique. Depuis des dizaines d’années les réalisateurs se sont associés à des artistes et des producteurs pour associer la sortie d’un film à celle d’une bande son officielle, à tel point, que parfois, la bande son a surpassé le succès du film. Cependant, aujourd’hui cette convergence s’est étendue à des domaines distincts pour former un « grand conglomérat culturel ». Nous assistons à des stratégies de synergie pour coupler, pas exemple, la sortie d’un film à celle d’un album mais aussi d’un jeu vidéo, d’une série télévisée, d’une offre d’abonnement téléphonique et de tout un attirail de produits dérivés (sonneries de téléphone, t-shirts, etc.).
Shah Alam La téléphonie mobile se rapproche de l’industrie phonographique
De plus en plus, les opérateurs de téléphonie mobile se rapprochent de l’industrie phonographique. Les exemples sont multiples. En 2007, la Cigale a signé un contrat de partenariat exclusif avec SFR pour une durée de deux ans. Ce partenariat a pour objectif de faire de la Cigale la première salle de concert numérique en France en proposant une billetterie électronique et des concerts diffusés mensuellement sur SFR Live Concerts. Des bornes de démonstration de l’offre mobile SFR Music et de l’opération SFR Jeunes talents ont depuis été installées dans la salle. Ces actions sont le prolongement d’une stratégie mercantiliste qui vise à vendre des téléphones portables et non pas à développer la culture sur le territoire français. En investissant dans les salles de concerts, SFR récupère un espace non encore viabilisé par la publicité. Lorsque la société installe des bornes de démonstration de ses services dans les salles, la société inonde de publicité un public qu’elle ne pouvait pas toucher jusqu’alors. En juin 2008, SFR a même inauguré une salle de concert (Le Studio SFR) à quelques encablures de l’Olympia. L’opérateur y propose des concerts privés, avec des bornes de démonstration de ses services musicaux.
Les opérateurs téléphoniques signent des accords en cascade pour proposer des offres multi-supports en partenariat avec les maisons de disque. Selon une étude TMNG[5] publiée en mai 2007, « un nombre important de jeunes et jeunes adultes sont intéressés par l’utilisation de services multimédias sans fil de nouvelle génération orienté sur le divertissement ». En août 2004, Bouygues Telecom s’associe avec Universal Music pour créer la marque Universal Mobile, résolument tournée vers l’offre musicale du catalogue de la major. France Télécom a cadré plusieurs ententes avec différentes maison de disque afin de distribuer leurs catalogues au travers de services musicaux multi-supports (le mobile, l’Internet et le fixe), tels que l’abonnement de VOD « 24 / 24 Musique » en 2007 ou l’écoute illimitée de musique « Orange Music Cast » en 2008.
Les sonneries pour téléphones portables sont une rente non négligeable pour l’industrie phonographique. Pour la première fois, en avril 2005, une sonnerie (« Crazy Frog Axel F ») se classe première des ventes de single en Grande Bretagne. Lancé à la même période par Lagardère Active Broadband, Blingtones est le premier label de musiques pour mobile. Ce service offre des productions originales aux opérateurs de téléphonie mobile. Ces phénomènes de convergences entre deux industries distinctes vont dans le sens d’une hybridation des dispositifs médiatiques et l’établissement de nouveaux terminaux permettant une consommation de musique toujours plus mobile. Ce mouvement a été amorcé par la prolifération des lecteurs mp3, tel que le iPod. Ces appareils sont devenus de plus en plus performants à l’exemple du modèle LG T80 permettant de regarder les chaînes de TV musicales grâce à la technologie DBV-T[6]. Dans le domaine de la téléphonie mobile, en avril 2008, dans le prolongement d’une stratégie de plusieurs années visant à associer SFR au monde de la musique, l’opérateur lance le « MTV3.3 » un mobile 3G entièrement dédié à la musique et à la télévision. De nombreux artistes ont aussi proposé le téléchargement en avant première de leur album au travers d’offres d’abonnement de téléphonie mobile (ex : Madonna avec Hard Candy).
La frontière entre Musique et Jeux Vidéo s’estompe et introduit la notion d’environnement expérientiel
L’exemple le plus évocateur de la convergence des industries culturelles provient probablement du jeu vidéo[7] dont les ventes ont été propulsées par l’apparition de nouvelles expériences de jeu, notamment liées au communautarisme[8] et au positionnement sur la musique live afin de transcender les générations. C’est l’exemple du jeu vidéo Guitar Hero, qui a généré au travers de ses 3 versions et différentes déclinaisons sur supports électroniques, plus de 5 millions de ventes de titres en téléchargement aux Etats-Unis. Son concurrent, Rock Band, en a vendu 2,5 millions. Collaborer à la bande son d’un jeu vidéo est un moyen de faire s’envoler ses ventes de singles, d’autant plus lorsque les consoles de nouvelle génération proposent des services de téléchargement de titres. Les ventes du single de Dragonforce ont augmenté de 183%, dépassant, entre autres, celles des groupes The Killers, The Rolling Stones, Metallica et Guns N’ Roses ! Et ce n’est pas un épiphénomène puisque nous avons pu observer les mêmes effets pour Killswitch Engage ou encore Superbus.
Def Leppard a donné aux fans la possibilité de découvrir en avant-première le nouveau tube du groupe « Nine Lives », cinq jours avant la sortie de leur album Songs from the Sparkle Lounge. « Participer à Guitar Hero est une expérience passionnante pour nous et nous vivons ça comme une grande marque de reconnaissance », a déclaré Joe Elliott, chanteur de Def Leppard. « Je sais d’expérience à quel point on peut se plonger dans la musique en jouant à ce jeu, et c’est pour ça que nous avions très envie de saisir cette opportunité. Guitar Hero est un jeu extrêmement populaire chez tous les fans de musique, mais aussi chez beaucoup de nos fans, et pouvoir leur proposer « Nine Lives » sous cette forme est absolument fantastique ! ». Aerosmith vient de leur emboîter le pas avec la sortie d’une version de Guitar Hero dédiée à ce groupe légendaire. D’autres groupes devraient suivre (dont Metallica).
En parallèle, le jeu vidéo, comme produit culturel, utilise de plus en plus régulièrement la musique comme un moyen de favoriser l’immersion de l’utilisateur dans l’univers virtuel à tel point que des directeurs artistiques trouvent aujourd’hui des postes au sein des agences de création interactives. Parfois, la production sonore est même internalisée au sein des firmes de développement et de distribution de jeux vidéo (ex : Ubisoft Music). Le recours à la musique pour favoriser l’immersion des joueurs n’est pas un récent. Le jeu vidéo The Nomad Soul, édité par Quantic Dream / Eidos Interactive en 1999 était intimement lié à la musique de David Bowie. Le jeu dont le personnage principal ressemblait étrangement à Ziggie Stardust permettait d’accéder à des morceaux inédits de David Bowie et d’assister à une série de concerts virtuels donnés par le groupe.
Enfin, étrange coïncidence, l’actuel PDG d’EMI Music International, Jean-François Cécillon, fut entre 1998 et 2001, PDG de Sega Europe. Ceci explique peut-être la propension des majors à signer des contrats avec les sociétés de jeux vidéo, comme ce fut le cas avec la sortie du jeu vidéo Les Lapins Crétins. Un album et une série de bonus furent produits et distribué par EMI…
Des phénomènes de concentration de plus en plus fréquents
En parallèle de la convergence entre les différentes industries culturelles, l’industrie du disque a subi des phénomènes de concentration. Cela se manifeste plus particulièrement dans le domaine de l’organisation événementielle. L’exemple phare est celui de Live Nation, société d’organisation créée en 2005 d’une scission de Clear Channel Communications. Live Nation est une société intégrée qui contrôle toute la chaîne du spectacle et de la vente de billets, la gestion de fans clubs, de produits dérivés, … En 2007, Madonna signe un contrat exclusif de 120 millions de dollars avec la société comprenant aussi la production de ses disques et la gestion de ses contrats publicitaires. Live Nation contrôle plus d’une centaine de lieux de diffusion et propose des offres diverses (billetterie, sponsoring, vente de musique enregistrée, solutions informatiques pour le commerce et ligne et la gestion de fans club …) afin de générer des recettes multiples. Ce phénomène de concentration verticale est similaire à celui qui eu lieu dans l’industrie cinématographique d’après-guerre aux Etats-Unis. Les studios achetaient des salles de cinéma pour diffuser uniquement leurs films. Pour remédier à cette situation, la Cour Suprême eu recours à l’institution en 1948 du « Paramount Decree ». Ceci engendra une crise de l’industrie du cinéma américain qui ne se résorbera qu’avec l’arrivée du blockbuster et de ce qu’on appellera le New Hollywood au début des années 70. Ces phénomènes de concentration posent de nombreuses questions. Quelles sont les opportunités et les menaces qui pèsent sur ce système ? Faut-il craindre ou applaudir lorsqu’un grand groupe médiatique ou un opérateur de téléphonie mobile achète des lieux de diffusion artistique ?
La détermination de ces sociétés privées à investir dans la culture sont le prolongement de stratégies mercantilistes qui visent à vendre des biens et services et non pas à développer la culture sur un territoire. Ces sociétés récupèrent des espaces non encore viabilisé par la publicité. Nous pouvons craindre dans le domaine du spectacle une augmentation des contraintes qui pèsent sur les programmateurs pour donner la priorité à des programmations qui plaisent à leurs mécènes. Ces phénomènes de concentration ont pour conséquence la maximisation des profits en renforçant la quête au succès commercial. La limitation des risques d’échec s’effectue alors en homogénéisant le contenu, en couplant la prestation de produits dérivés dont les recettes peuvent dépasser celles du concert et en plaçant insidieusement les artistes produits par le groupe. Ces phénomènes de concentration poussent à l’hybridation constante entre la performance artistique et la publicité. L’esthétique devient alors consensuelle, marginalisant les styles musicaux alternatifs jusqu’à ce qu’ils soient repris et institutionnalisés par la culture dominante.
De la musique même avec ta carte bleue
A l’heure actuelle, les acteurs de la filière musicale multiplient les tentatives de trouver un modèle économique stable ou simplement viable. Les majors misent sur leur poids économique pour signer des accords avec des acteurs en dehors de la filière musicale, à l’exemple d’Universal Music qui a récemment signé un partenariat avec la Société Générale pour proposer une carte bancaire « So Music »[9] permettant d’accéder de manière exclusive au catalogue de la major. Cet accord est un cas extrême de convergence entre deux secteurs particulièrement distincts.
Cet accord est aussi symptomatique d’une industrie en crise, qui doit chercher des fonds ailleurs qu’en son sein. La multiplication des offres de ce type laisse penser que seules les offres les plus novatrices économiquement et techniquement parlant pourront perdurer…
[1] MARTIN Alban, L’Age de Peer. Quand le choix du gratuit rapporte gros, Paris : Pearson Education France, 2006.
[2] EMI recrute un haut cadre de Google, AFP, 3 avril 2008.
[3] MySpace lance un service musical avec trois majors, Reuters, 4 avril 2008.
[4] NUMERAMA, De l’industrie du disque vers l’industrie de la musique, 11 juillet 2007, http://www.numerama.com/magazine/4940-De-l-industrie-du-disque-vers-l-industrie-de-la-musique.html (consulté le 22 mai 2008)
[5] Changing Channels: Content Delivery at the Intersection of Telecom and Media, TMNG, consulté le 18 avril 2008 sur http://www.tmng.com
[6] La norme DVB-T est l’application de la norme DVB aux transmissions terrestres hertziennes. En France, ce système est utilisé pour la télévision numérique terrestre (TNT) – (Source : Wikipédia)
[7] Au dernier trimestre 2007, les ventes de jeux vidéo ont dépassé celles de musique enregistrée.
[8] La Nintendo Wii, sans manette traditionnelle, dont le nom provient du « We » anglais.
[9] NUMERAMA, So Music : une carte bancaire Société Générale avec Universal, 22 mai 2008, http://www.numerama.com/magazine/9660-So-Music-une-carte-bancaire-Socit-Gnrale-avec-Universal.html (consulté le 22 mai 2008)
Une réponse sur « La convergence des industries culturelles »
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